La Caverne redonne vie à des espaces urbains abandonnés

Champignons shiitake en cours de culture à La Caverne.

Mieux vivre

La Caverne redonne vie à des espaces urbains abandonnés

De drôles de types hantent les espaces abandonnés pour y faire germer une nouvelle vie.

Paroles de Camille Anais Semprez

Photographie par Celia Spenard-Ko

Mieux vivre

La Caverne redonne vie à des espaces urbains abandonnés

Paroles de Camille Anais Semprez
Photographie par Celia Spenard-Ko

Champignons shiitake cultivés à La Caverne.

Champignons shiitake en cours de culture à La Caverne.

Les couloirs de béton sombres et humides mènent souvent à des espaces inattendus. Quelque part dans le 18e arrondissement de Paris, un parking qui passe inaperçu abrite un tel endroit. Ce n'est pas une rave Berghain-esque que vous trouverez ici, mais il abrite des créatures qui semblent également préférer l'ombre. La Caverne est la seule ferme urbaine biologique de Paris. J'ai parlé à Jean-Noël au téléphone, l'un des fondateurs de cette start-up agroalimentaire, pour en savoir plus.

Dans les entrailles de ce complexe d'appartements sociaux, les fruits du champignon jaillissent de rangées de blocs ressemblant à des legos créés à partir de matériaux organiques. Et on me dit qu'une légère odeur umami de sésame grillé emplit l'air. À La Caverne, vous trouverez une variété de champignons, ainsi que de la chicorée et des germes de mircro. Toutes ces cultures préfèrent rester à l'abri du soleil, certaines prospèrent même dans l'obscurité totale. "Les champignons poussent généralement à l'ombre d'un arbre, alors nous avons un peu de lumière pour eux... et pour nous".

Le co-fondateur Jean-Noël entrant dans La Caverne.
Des pleurotes poussant dans l'obscurité.

Le cofondateur Jean-Noël entre dans La Caverne. / Les pleurotes poussent dans l'obscurité.

Le "nous" se compose d'une dizaine d'employés par site, dont certains vivent dans les appartements situés juste au-dessus. Si j'ai bien compris, ces agriculteurs futuristes parcourent les 1 200 mètres carrés du site sur des scooters électriques. Une scène qui ne vous surprendrait probablement pas dans n'importe quel autre bureau de start-up. Cependant, Jean-Noël me dit que leurs méthodes sont traditionnelles, simplement mises en œuvre de manière surprenante. "S'il y a une innovation, c'est dans la conception", ajoute-t-il. La ferme vise à minimiser son empreinte carbone et à adopter une pratique durable, au sens large. Tout est fait sur place, de la culture au conditionnement et à la distribution locale. Les livraisons sont effectuées à vélo, aux coopératives locales, aux restaurateurs et aux marchés de producteurs.

La culture des champignons Shiitake dans sa propre section à température contrôlée de la ferme souterraine.

La culture des champignons Shiitake dans sa propre section à température contrôlée de la ferme souterraine.

La production parisienne a ouvert ses portes en 2017. Les fondateurs de La Caverne - Jean-Noël Gertz, ingénieur thermicien, et Théo Champagnat, agronome, se sont rencontrés dans ledit lieu lors d'une visite organisée dans le cadre d'une initiative de la ville visant à développer les sites d'agriculture urbaine dans la capitale. Situé près de la Porte de La Chapelle, dans le Nord de Paris, ce parking à étages s'était considérablement vidé suite à l'interdiction des voitures anciennes mise en place dans le cadre d'une initiative anti-pollution. Les familles à faibles revenus ont été particulièrement touchées, car elles n'ont pas pu remplacer leurs véhicules par des modèles plus récents, laissant cet espace inutilisé. C'est pourquoi les habitants n'ont pas été hostiles mais plutôt intrigués par l'initiative du couple.

La Caverne a donné la priorité à l'implication non seulement locale mais aussi hyper-locale. Là encore, elle cherche à embaucher des personnes vivant dans les bâtiments qui surplombent sa production. Ils font également don chaque année d'environ une tonne de champignons à leurs voisins, à des coopératives d'étudiants et à des organisations de réfugiés. Tout cela alors que leur qualité, leur proximité et leur fraîcheur ont séduit de grands gourmets tels que le groupe Ducasse.

La popularité des champignons est indéniablement en hausse dans le monde entier. Si on ne vous a pas demandé si vous avez regardé le documentaire Fantastic Fungi au moins 10 fois pendant la quarantaine, sur quelle planète vivez-vous ? (J'ai commencé à dire oui, juste pour éviter une autre longue critique amateur). Bien sûr, ils ont toujours été un aliment de base de l'alimentation française, mais de nouvelles frontières, telles que les alternatives aux produits animaux et les suppléments de bien-être, ont augmenté la demande pour eux. Gertz me dit qu'ils produisent 10 tonnes de champignons par an. Il s'agit exclusivement de variétés culinaires (principalement l'huître et le shitake). Cependant, Jean-Noël me dit qu'ils prévoient d'ouvrir de nouveaux sites et un laboratoire, élargissant ainsi les possibilités. Dans l'espace qu'ils n'occupent pas, La Caverne accueille d'autres entreprises food-tech aux valeurs et besoins similaires, qui transforment tout, de la spiruline aux coquillages.

"Ils produisent 10 tonnes de champignons par an."

La réaffectation (ou le "recyclage" comme ils disent) de ces espaces abandonnés, qui ont nécessité relativement peu d'adaptation pour développer ces cultures, semble avoir été avant tout un modèle économique intelligent dans le domaine autrement potentiellement précaire de la culture alimentaire. Lorsque je demande à Jean-Noël comment la première de ses fermes près de Strasbourg a trouvé refuge dans un ancien bunker, il répond simplement "il y en a beaucoup". Une fois de plus, la nécessité semble être la mère de l'invention. Pourtant, je ne peux m'empêcher de voir la poésie qui consiste à redonner vie à ces structures, qui pourraient autrement être perçues comme des vestiges de la destruction (qu'il s'agisse de violence ou de pollution). Et, de manière plus optimiste, un nouveau souffle dans les communautés construites autour d'elles. Du réfugié au chef étoilé, du végétalien à ceux qui mangent casher ou hallal, La Caverne s'adresse à l'ensemble de sa communauté. Et bien que Gertz soit objectif, "nous ne faisons pas de politique, nous gérons une entreprise", j'ai l'impression qu'il sait qu'il y a beaucoup plus que cela. La Caverne m'aide à commencer à voir les champignons, ni plantes ni animaux, sous un nouveau jour. Tout comme dans la forêt, le mycélium pourrait très bien créer davantage de symbioses dans l'avenir de nos écosystèmes urbains.

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À propos de Camille Anais Semprez

Camille est une scénariste, productrice créative, consultante en scénario et réalisatrice franco-américaine. Enfant unique non baptisée de la "Bible Belt", elle est revenue à Paris il y a 15 ans pour étudier la théorie du cinéma à la Sorbonne et travailler comme agent/producteur pour des contenus de court métrage. Elle a très récemment emménagé dans un adobe au Nouveau-Mexique, qu'elle appelle affectueusement son "palais de boue", où elle continue à travailler en free-lance.