Donner selon 4 Montréalais qui ont façonné la culture en 2020

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Bonnes personnes

Donner selon 4 Montréalais qui ont façonné la culture en 2020

Avec Albert Nguyen, Hannah Che, Soukayna, Naadei Liones

 

En cette fin d'année 2020 - une année marquée par une pandémie dévastatrice, un éveil culturel et de justice sociale stimulé par le mouvement Black Lives Matter, et une prise de conscience environnementale - nous voulons reconnaître et célébrer les pionniers qui utilisent leurs talents uniques pour créer un changement positif dans notre ville natale de Montréal et au-delà. Nous avons demandé à quatre Montréalais inspirants de partager leurs perspectives sur l'acte de donner et ce que cela a signifié pour eux au cours de l'une des années les plus transformatrices à l'échelle mondiale.

Albert Nguyen

Né et élevé à Montréal, Albert Nguyen est un directeur artistique et un graphiste dont le flair créatif et l'œil visuel ont attiré l'attention de grandes marques telles que adidas, Aldo, Frank and Oak, Nike, SSENSE et, plus récemment, la plus ancienne entreprise du Canada, la Compagnie de la Baie d'Hudson. Outre son travail commercial, Albert utilise son talent pour rendre service à la communauté. Il a notamment conçu de la marchandise pour des organismes sans but lucratif soutenant des artistes BIPOC et pour des campagnes antiracistes à Montréal et au Québec. Dans le cadre de l'un de ses derniers projets, il a conçu un t-shirt destiné à recueillir des fonds, en partenariat avec un restaurant thaïlandais local, pour le temple Chùa Quan Âm, un site bouddhiste dont les statues ont été vandalisées dans les premiers jours de la pandémie. Si nous ne prenons pas soin de notre santé ou de nos propres démons, comment pouvons-nous aider les autres à surmonter leur douleur ? 2020 a été une grande année pour moi en termes d'autoguérison, mais 2019 a été le début. J'ai résolu un traumatisme d'enfance qui m'avait hanté pendant une grande partie de ma vie d'adulte. En travaillant sur ma propre guérison, je me suis préparée à ce qui allait arriver en 2020. Je me sentais mieux et en paix, j'étais donc enfin prête à aider à guérir et à ressentir pour les autres autour de moi parce que, pour une fois, je me sentais bien avec moi-même. Lorsque quelqu'un vous dit "occupez-vous du premier", aussi cliché que cela puisse paraître, faites-le. Donnez-vous à vous-même pour pouvoir donner aux autres.

 

Hannah Che

Née à Montréal, Joanna Chevalier - autrement connue sous le nom de Hanna Che - est la co-fondatrice de Never Was Average, une organisation qui se consacre à la création d'un espace inclusif pour les PANDC (Personnes Autochtones, Noires et De Couleur) dans les domaines créatifs et au-delà, par le biais de discussions, d'expositions d'art et d'autres événements. L'organisation a attiré l'attention du public durant l'été pour avoir commissionné l'immense fresque de rue «La Vie des Noir.es Compte» sur la chaussée de la rue Sainte-Catherine à Montréal. Hanna, qui se décrit elle-même comme une défenseuse de l'estime de soi et de la joie de vivre, combine des compétences pratiques en Relational Mindfulness™ et une approche multidisciplinaire pour initier des conversations de fond et des projets significatifs qui créent un impact social positif. Sa mission? Encourager les uns et les autres à transcender les étiquettes au travers de l'exploration de soi et des liens avec des communautés plus larges.

"En réfléchissant au mot "don", je me rends compte que mon désir de rendre la pareille me vient de ma mère. En grandissant, je l'ai vue donner à tout le monde sans jamais rien recevoir ni demander en retour. Aujourd'hui, en tant que travailleuse essentielle, elle donne beaucoup d'elle-même et ne prend jamais de pause. Comme je sais à quel point elle travaille dur et qu'elle est une personne généreuse, je suis souvent obligée de lui dire de se reposer. Quand je pense à ma vie, il est clair que j'imite son comportement. Peut-être que l'altruisme est un trait de famille.

Je me suis tellement habituée à donner mon énergie, mon temps, ma créativité et mon amour aux autres que je m'oublie moi-même.

Il y a cette citation de Bell Hooks qui dit : "Je trouve souvent qu'il est plus facile d'enseigner ou de donner aux autres, et j'ai souvent de la difficulté par rapport à la place de mon propre plaisir et de ma propre joie". Je me demande constamment comment je peux donner alors que mon propre verre est vide. C'est une question avec laquelle je me bats sans cesse. Il est si facile de dire à tout le monde que l'attention, l'amour ou la préservation de soi doivent passer en premier tout en s'oubliant soi-même.

C'est difficile pour moi parce que j'aime vraiment créer des projets qui changent le monde, mais peut-être que ça n'a pas besoin d'être si difficile si je me détends et que je suis mes propres conseils. 2020 m'a fait comprendre que je peux donner, mais que je dois d'abord prendre soin de moi et ne pas me sentir mal à cause de ça.»

 

Soukayna

Soukayna est arrivé·e à Montréal à l'âge de cinq ans lorsque sa famille décida de faire le grand saut et immigra du Maroc au Canada. Ce fut un changement de vie majeur décrit plus tard comme "très traumatisant", car le choc de réalité et le fait d'avoir à tout recommencer à zéro entraîna un certain nombre de problèmes de santé mentale au sein de la famille. Luttant contre les stigmates de la maladie mentale tout en transcendant le binaire du genre avec une communauté très conservatrice en toile de fond, Soukayna a su trouver du réconfort dans l'écriture. Ce cheminement vers la guérison et la réalisation de soi a donné naissance à une collection de textes profondément personnels, auto-publiés sous le titre "WORDS" et dédiés à "toute âme qui s'est jamais sentie seule, ou qui s'est perdue dans une obscurité plus grande que l'amour qu'elle porte".

«Une communauté peut être tout ce que tu veux en faire. Pour moi, cela commence par une prise de conscience de soi, une prise en charge de soi, et l'apprentissage et la guérison de tous les traumatismes que je pourrais avoir pour être là non seulement pour moi mais aussi pour les autres. C'est créer des espaces pour que les personnes marginalisées puissent être elles-mêmes et se connecter avec les autres, c'est envoyer des fleurs à des amis qui traversent une période difficile, c'est construire des ponts, c'est avoir des conversations inconfortables, et connaître ses limites. Pour moi, une communauté n'est pas seulement là pour t'encourager quand tu atteins la ligne d'arrivée. Elle s'assure que tu as tout ce dont tu as besoin et t'apporte son soutien tout au long du chemin. J'ai grandi en regardant ma grand-mère emballer de la nourriture en plus chaque fois que nous partions en voyage pour la donner aux enfants des rues au Maroc et les inviter à s'asseoir avec nous pour discuter. Les sentiments de confiance, de réconfort et de soutien qui se dégagent de ces moments sont des sentiments que j'essaie de recréer dans tout ce que je fais et dans mes échanges.»

 

Naadei Liones

Originaire d'une petite ville d'Abitibi-Témiscamingue, l'auteure-compositrice Naadei Liones est montréalaise depuis près de deux décennies. Née d'une mère québécoise et d'un père ghanéen, elle a parlé ouvertement du racisme ordinaire, ces petites remarques empreintes de préjugés que l'on peut entendre au quotidien. Après un passage dans une émission de télé-réalité, Naadei s'est juré d'utiliser sa nouvelle plateforme et son influence pour redonner aux autres et a fait de la représentation de la diversité à l'écran une priorité personnelle.

«Comment donner quand notre main est vide? Comment partager quand on n'a plus rien? Être généreux, c'est formidable mais à vrai dire, en ce moment, on est tous cassé comme des clous. Pour certains, c'est le portefeuille qui est vide, pour beaucoup, c'est l'âme. Quand je regarde en arrière, que je pense à cette année remplie de défis, je suis obligée de remettre en question le sens du verbe donner, et je dois chercher plus profondément de nouvelles façons de le faire.

Quelqu'un de célèbre a dit il y a quelques années : "C'était l'année où on a réalisé des trucs". 

C'est exactement ça. En plus, 2020 est devenue l'année où on a appris à donner ce qui est nécessaire, plutôt que ce qui est gratifiant. Tout en restant cachée confortablement derrière un caractère cool et indifférent, j'ai commencé à me sentir comme une imposteuse. Il n'y a rien eu de cool en 2020. Il n'y a eu que des raisons de s'inquiéter. Au début, contre mon gré, j'ai dû apprendre à sortir de cette bulle de nonchalance soigneusement élaborée et à défendre les idées auxquelles je croyais.

Il s'avère que partager ses pensées peut coûter bien plus cher que de partager ses dollars. Dieu sait que j'aurais préféré dépenser quelques piasses pour écourter certaines discussions cette année si j'avais pu.

En ces temps de malentendus et de divergences, mes plus grandes contributions ont été d'exprimer mon opinion courageusement à voix haute ou partager mon point de vue avec respect. Prendre le temps d'apprendre, consacrer son énergie à vraiment comprendre, investir dans de vraies conversations ; donner une partie de moi, en espérant recevoir une partie des autres en retour. En fait, donner pour recevoir est souvent sous-estimé, quand il s'agit de pensées et d'idées.

Certains d'entre nous se sont éparpillés à vouloir trop faire cette année. Parfois, j'ai eu l'impression qu'il ne restait même pas assez de moi pour moi. Mais pour vraiment donner, je me rappelle qu'il faut véritablement ressentir la perte de ce que l'on donne.»