« Toute ma vie, j'ai été insatisfaite en faisant du shopping », explique au téléphone la créatrice de mode et de textile Jackie Villevoye, chaleureuse et directe dans ses propos. Tout, des vêtements aux meubles, lui semblait trop homogène, trop terne, pour faire appel à sa sensibilité particulière. « J'avais le sens du style. Les gens ont vu ça dans la façon dont j'ai décoré ma maison, ou dont j'ai habillé mes enfants.»
C'est précisément lorsque ses enfants ont quitté la maison familiale, à Breda, aux Pays-Bas, que l'idée de créer Jupe by Jackie lui est venue.
Avec des peintures, des photographies et des installations lumineuses accrochées au mur ; des céramiques, des livres et des bibelots disposés avec art sur les surfaces, la maison regorgeait déjà de caractère. Mais c'est grâce au temps passé à pratiquer "le yoga et le bridge", s'étirant interminablement devant elle, qu'elle a réalisé que sa curiosité et son penchant pour la brillance pouvaient être le premier souffle de sa nouvelle vie.
Poussée par les possibilités qui s'offrent à elle, elle décide d'appliquer sa passion pour le design à la création d'une nouvelle entreprise, en se tournant d'abord vers les accessoires pour femmes. « J'ai pensé à un produit qui serait facile, et je suis tombée sur une cravate pour femmes,» poursuit-elle, « car je savais qu'elle n'existait pas vraiment, et je pensais qu'elle serait facile à faire.»
Les cravates en soie faisaient appel à la sensibilité de Jackie, mais elle s'est tournée vers la broderie principalement pour des raisons pratiques. Elle a rapidement compris que le choix de cette technique plutôt que l'impression sur textile lui permettrait de créer des quantités limitées de chaque couleur et de chaque design, avec un minimum de déchets et une viabilité commerciale maximale. « C'est tout moi » poursuit-elle. « Très organique. Il n'y avait pas de plan d'affaires.» Elle s'est ensuite rendue à New Delhi à la recherche d'artisans talentueux qui pourraient réaliser ses idées. Avec ces premières pièces, son sixième et dernier "enfant", Jupe by Jackie, est né.
Au cours des dix années qui ont suivi, la marque s'est forgée une réputation de joyeuse ressource pour des pièces originales, ludiques et brodées à la main, allant des cravates aux chemises, chapeaux et robes et, plus récemment, aux jetés luxuriants et aux housses de coussins de caractère.
Aujourd'hui encore, Jackie travaille avec la même équipe d'artisans à New Delhi, alliant le meilleur de l'artisanat indien à une esthétique résolument européenne. Bien que la marque joue un rôle modeste mais vital dans l'industrie de la mode, cette graine organique et vivante dont elle est issue reste au cœur de tout ce que fait l'équipe. « C'est si dur, la mode, de nos jours » précise-t-elle. « Nous essayons de faire le maximum avec une petite équipe, de faire de belles choses, de les mettre au monde, de rendre les gens heureux. Nous nous battons tous les jours pour que ça arrive.»
Jackie ne peut pas - et ne veut pas - identifier la source de ses idées. « C'est viscéral », dit-elle. « C'est une question d'art. J'ai cet instinct. Où que je sois, mes yeux sont toujours à la recherche de proportions, de combinaisons de couleurs, de petites détails ».
Cette façon instinctive de voir les choses lui a été bénéfique. Malgré un rejet initial dans la communauté des designers, la jeune marque a été choisie par la maison de mode iconique Comme des Garçons et ils ont maintenu leur relation depuis lors.
La collection, quant à elle, reste intemporelle et vibrante ; un fait que sa créatrice met sur le compte de l'artisanat. « Un tissu imprimé est terne, Il n'a que deux dimensions », dit-elle. « Avec un tissu brodé, le travail est posé sur le tissu, donc la lumière l'attrape différemment, il a plus de caractère.» Le caractère est au centre de la définition-même de "bon design" d'après Jackie. C'est cette même individualité ineffable qui est habilement incorporée dans une cravate en soie marine, décorée de ses fleurs rouges habituelles, ses coutures exigeant un regard plus attentif. « La mode doit souligner votre personnalité, votre style.»
« Avec un tissu brodé, le travail est posé sur le tissu, donc la lumière l'attrape différemment, il a plus de caractère.»
« Il en va de même pour la maison », poursuit Jackie, en faisant référence à la gamme d'articles de maison de Jupe, qui contient ses objets favoris jusqu'à présent. « Les chaises Halabala ! C'est ce travail qui me rend le plus fière », s'exclame-t-elle. « Elles sont uniques en leur genre.» Chacun d'elles utilise une chaise moderniste vintage conçue par le designer tchèque Jindrich Halabala. Leurs housses sont minutieusement brodées à la main en Inde avec un motif individuel, avant d'être rembourrées aux Pays-Bas. Elles incarnent la vision de Jackie en matière de design d'intérieur (« J'ai un œil de menuisier, me dit-elle fièrement, mes yeux repèrent tout de suite quand un tableau n'est pas bien droit, ou qu'il est trop haut, ou trop bas ») avec des combinaisons de couleurs et des compositions parfaitement équilibrées, et le plus grand respect des proportions. « Ce ne sont pas des chaises, ce sont des oeuvres d'art. Elles rehaussent l'environnement dans lequel elles se trouvent."
Quant à son propre environnement ? La maison familiale étant vendue, Jackie se trouve maintenant dans l'attente d'un nouveau foyer, la bâtisse de 500 ans qu'elle a achetée il y a quelques années en cours de restauration. « Je suis une voyageuse en ce moment », dit-elle en riant vivement, semblant ne pas faire grand cas du fait de vivre en grande partie dans ses valises, entre les visites rendues à ses enfants, qui vivent aux quatre coins du monde, à ses amis, à ses collaborateurs internationaux et à ses fabricants en Inde. « Mais je peux vous dire que quand j'emménagerai dans cet endroit, toute seule, il sera l'expression de tout l'art et des livres que j'ai accumulés, de toutes les choses que je trouve belles.»